En ce moment, Justin Trudeau panse ses blessures et se donne le - de réfléchir. Il remaniera son cabinet ce vendredi, notamment pour soulager les ministres qui ont hérité d’une double charge après le départ d’un collègue : Dominic LeBlanc (qui a succédé aux Finances de Chrystia Freeland), Anita Anand (Transports de Pablo Rodriguez) et Ginette Petitpas- Taylor (Emploi repris de Randy Boissonneault).
Mark Carney, qui a involontairement causé le désordre de cette semaine, ne sera pas en lice. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada a une fois de plus décliné l’offre du premier ministre de se lancer dans l’arène politique. Ses hésitations répétées – son nom était déjà évoqué en 2020 lors du départ du précédent ministre des Finances – prouvent qu’il n’a peut-être pas l’étoffe d’un homme politique. M. Carney joue la sécurité, en attendant le moment idéal et le travail idéal, où tout le monde vous dira que dans ce métier, il faut savoir se lancer dans l’inconnu.
Pour sa défense, il se rend peut-être compte que Justin Trudeau n’est pas un patron facile. Car malgré ce que certains tentent de nous faire croire, ce n’est pas parce que Chrystia Freeland est une femme que Justin Trudeau l’a maltraitée, allant jusqu’à annoncer son remplacement imminent sur Zoom ! De nombreux hommes avant elle ont été tout aussi cavalièrement rabaissés. Pensons à Stéphane Dion, John McCallum, Marc Garneau et David Lametti, évincés du cabinet pour laisser la place à la relève, ou encore à Bill Morneau. Beaucoup ont déclaré avoir des difficultés à établir une relation profonde avec leur patron.
Un départ réclamé
Un sondage Abacus réalisé juste après la démission retentissante de Mme Freeland lundi nous apprend que 67 % des sondés souhaitent que Justin Trudeau démissionne, contre seulement 19 % souhaitant qu’il reste. Facile à dire. La vraie question est de savoir qui le remplacera, quand et à la fin de quel processus.
La palme de l’originalité revient à Eddie Goldenberg, un ancien proche conseiller de Jean Chrétien qui, à ce titre, s’y connaît en grenouille. M. Goldenberg propose que le caucus libéral choisisse un chef par intérim qui serait le chef de l’élection. La véritable course à la direction aurait lieu après le vote, avec la possibilité que le leader par intérim y participe. Dans ce scénario, Mme Freeland est sa candidate préférée.
C’est rêver en couleurs, car c’est présumer que les autres aspirants chefs, Mélanie Joly, François-Philippe Champagne et Anita Anand, accepteront sans broncher de laisser le champ libre à leur rivale. Pourtant, rien n’est moins sûr. La course est bel et bien lancée.
Plusieurs sources nous apprennent que lors de la fête de Noël du Parti libéral (PLC), mardi, les acteurs étaient déjà au travail. L’attente pour qu’une photo soit prise avec Mme Freeland aurait duré une à deux heures. Il n’y avait pas de file d’attente pour M. Champagne ou Mme Anand, mais tous deux « travaillaient dans la pièce » avec de nombreuses poignées de main. Mélanie Joly? Manque de pot : elle a dû rester à la maison car elle était trop malade. Plus tôt dans la journée, elle avait d’ailleurs raté l’annonce sur le renforcement de la frontière qui lui aurait fait bonne figure.
Freeland ne fait pas l’unanimité
Chrystia Freeland compte de nombreux partisans parmi les libéraux, mais il y en a aussi qui lui en veulent amèrement d’avoir semé le chaos dans les rangs avec son geste spectaculaire. Certains libéraux pensaient encore avoir une chance aux élections, mais plus maintenant, nous a dit l’un d’eux. Elle peut se permettre de faire des dégâts, elle ne risque pas de perdre dans sa forteresse de Toronto. Son geste était calculé en vue de la chefferie, nous a confié un autre.
Non, sa nomination interne ne passerait pas comme une lettre par la poste.
Si cette astuce du chef par intérim ne fonctionne pas, alors, en cas de démission de Justin Trudeau, le PLC devra choisir un chef permanent d’ici les élections. Les statuts du parti laissent suffisamment de flexibilité à ses dirigeants pour adapter le calendrier, mais personne ne voit comment on pourrait en organiser un en moins de trois mois. Cela nous amènerait au mieux fin mars ou début avril. C’est loin. D’autant qu’un vote de confiance sur les crédits doit avoir lieu aux Communes avant le 26 mars. Il y aurait un risque que le parti se retrouve en élection sans encore avoir de chef.
L’autre possibilité est que Justin Trudeau déclenche des élections un peu après les Fêtes pour laisser le peuple décider. Le vote ne pourrait avoir lieu avant le 27 janvier.
Il faut se demander si le Canada veut se retrouver sans véritable premier ministre, voire même sans gouvernement du tout, à l’arrivée de Donald Trump et de ses éventuels tarifs douaniers le 20 janvier. Les gens autour de M. Trudeau disent que c’est la considération qui pèse le plus lourd dans sa réflexion.
Acceptez le destin
Cette frénésie libérale pour exiger que le leader impopulaire cède sa place pour sauver l’équipe est agaçante. Personne ne l’a mieux illustré que le député Wayne Long, mutin depuis le début, avec sa lettre invitant ses collègues à exiger le départ du leader. « Il s’agit de sauver notre parti d’une défaite historique », a-t-il écrit. […] Si nous ne regardons pas la réalité en face, c’est parce que nous acceptons de céder l’avenir de notre Parlement aux conservateurs.»
Les libéraux semblent penser qu’ils sont les seuls à être suffisamment dignes pour détenir le pouvoir. Leur panique face à une défaite imminente trahit un refus de l’alternance, sur laquelle repose la démocratie. Non, le pouvoir ne leur est pas dû, et proroger la Chambre pendant plusieurs mois pendant qu’ils choisissent un sauveur donnerait précisément cette impression.
Les libéraux doivent accepter calmement que ce n’est pas seulement Justin Trudeau dont l’électorat se lasse, mais bien tous. Ils doivent collectivement assumer la responsabilité de leurs résultats. Ils doivent accepter le verdict populaire plutôt que d’essayer d’y échapper en affichant un visage plus frais sur leur devanture, ce qui, de toute façon, ne trompera personne. Parlez à Kamala Harris.
Comme le confie un autre libéral qui se dit rationnel : « Je sais que nous allons perdre, mais je ne panique pas. je fais mon emploi jusqu’à ce que ce ne soit plus mon emploi.» Pour le PLC, le pire scénario serait que les libéraux soient reconduits dans leurs fonctions avec une minorité, ce qui ne ferait que prolonger cette épreuve de mort lente. Le deuxième pire scénario serait une minorité de Pierre Poilievre qui n’établirait pas la stabilité nécessaire pour que les libéraux se repensent.
Le mieux serait que Justin Trudeau reste et proroge le Parlement quelques semaines fin janvier, le - d’amortir le choc de la nouvelle présidence américaine. Qu’il présente ensuite un budget et déclenche des élections pour que le peuple juge. Le - des cataplasmes et du maquillage est révolu. Il faut crever l’abcès. D’ici là, Justin Trudeau est condamné à être un mort-vivant de service. Ce sera son dernier acte.
Related News :