Dans son éditorial du 21 août 2024, le journal Le monde intitulé « Le retour gagnant de la Russie en Afrique ». L’analyse soutenant cette observation a pris en compte le nouvel engagement diplomatique et militaire de la Russie avec des pays comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la République centrafricaine.
Il inclut aussi l’influence politique accrue que ce pays semble avoir obtenu de la part de régimes qui font de la rupture avec l’Occident (Mali, Niger, Burkina Faso) ou de son éloignement (Sénégal, Centrafrique) un des axes de leur stratégie politique d’émancipation. et la souveraineté retrouvée.
Bien entendu, cette nouvelle posture politique, spontanée ou provoquée de l’extérieur, séduit une partie de l’opinion publique locale, qui y voit l’opportunité de tourner enfin la page de la colonisation et du néocolonialisme qui a suivi. En se rapprochant de la Russie, ne s’aligne-t-on pas sur le Sud global, avec ses valeurs qui ne sont pas celles de l’Occident ?
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Sur ce terrain politique fertile, la zone d’intervention russe s’est rapidement étendue, principalement dans ce qu’on appelait, il y a quelques années, l’arrière-cour de la France. C’est-à-dire cet espace géographique où l’ancienne puissance coloniale, via des accords de défense et des accords économiques et financiers, assurait encore jusqu’il y a peu une partie des fonctions régaliennes généralement dévolues aux pays souverains.
Cette présence française d’un autre âge s’est vue discréditée par l’opinion publique des pays concernés tant par son incapacité à faire face à la montée du terrorisme par une présence militaire renforcée que par son incapacité – depuis la décolonisation – à aider ces pays à sortir de la crise de masse. pauvreté, par eux-mêmes et avec une aide extérieure.
Un échec porté par la France, mais aussi par le reste des pays occidentaux et les grandes institutions qu’ils contrôlent comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale.
La promesse de faire mieux que l’Occident
La Russie aurait donc réussi à séduire certains pays africains en prétendant qu’elle était capable de faire mieux que la France et l’Occident dans son soutien à la sécurité de ces pays et au respect de leur souveraineté, ainsi qu’en termes économiques dans l’exploitation des ressources naturelles. les ressources naturelles de ses nouveaux partenaires.
Contrairement à la Chine, très active sur le continent, mais qui fait de la non-ingérence dans les affaires souveraines de ces États sa marque diplomatique, et n’a jamais exclu la présence de pays occidentaux dans ses zones d’intervention, la stratégie de la Russie est bien plus clivante.
Le soutien de la Russie à certains pays africains se présente comme une alternative crédible à l’influence occidentale
Son soutien se présente comme une alternative crédible à l’influence occidentale, notamment celle de la France qui, après la décolonisation, est restée trop longtemps néocoloniale et donc co-responsable de situations dégradées.
Les Etats existants, peu légitimés démocratiquement, y trouvent un moyen de séduire une partie de leur opinion publique désireuse de rompre avec la puissance coloniale du passé. En matière de droits humains, ils trouvent aussi l’occasion de se déconnecter à moindre coût d’un cadre de référence universaliste présenté comme le faux nez des valeurs imposées par l’Occident.
Mais qu’apporte réellement la présence russe aux pays de la bande sahélienne ? Est-ce vraiment un « retour gagnant » ? Après plusieurs mois de coopération, nous pouvons tenter de dresser un premier bilan.
Le désengagement de la Chine
Sur le plan sécuritaire, le soutien russe à la lutte contre le terrorisme ne semble pas très efficace. Les massacres de populations civiles se poursuivent dans tous les pays concernés et les armées locales, désormais appuyées par les forces russes, démontrent chaque jour leur impuissance au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Par ailleurs, comme c’est le cas au Burkina Faso depuis fin août 2024, certains soldats russes quittent déjà l’Afrique pour renforcer les besoins de leur armée engagée sur le front ukrainien. La capacité de la Russie à garantir une présence à long terme n’est pas assurée.
Deuxièmement, Moscou ne semble pas du tout en mesure de prouver l’efficacité de la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement autocentré, capable d’améliorer la situation économique et sociale de ces pays sans aide. Occidental. La situation économique et financière de la région reste préoccupante avec un endettement croissant et une pauvreté croissante.
La situation économique et financière de la région reste préoccupante, avec un endettement croissant et une pauvreté croissante.
Pourtant, le désengagement de la Chine de l’Afrique est désormais en marche, et ses nouveaux engagements financiers sont en chute libre malgré les promesses du président chinois Xi Jinping, lors du sommet de coopération sino-chinois réunissant une cinquantaine de chefs d’État africains. le 5 septembre 2024, pour débourser 50 milliards de dollars en trois ans sur le continent.
La crise économique chinoise est passée par là, et les prêts souverains accordés à l’Afrique subsaharienne par Pékin sont passés sous la barre du milliard de dollars en 2023, son plus bas niveau depuis près de vingt ans selon le FMI.
Une économie de prédation
Dans le même -, la puissance économique moyenne de la Russie ne lui permet pas d’aider économiquement l’Afrique. D’autant que ses ressources restent quasi exclusivement concentrées sur son économie de guerre.
Pour les régimes africains ayant choisi l’option russe, celle-ci est donc dépourvue de toute aide supplémentaire sur le plan économique et financier. Pire encore, l’exploitation excessive des ressources naturelles de ces pays, telle que la pratique la milice Wagner et la pratique aujourd’hui l’armée russe, va à l’encontre du développement durable local.
C’est une économie de prédation, propre à une généralisation de la corruption, qui s’est mise en place et s’adapte très bien à la pauvreté de masse et aux régimes autoritaires. Aucune amélioration de la sécurité constatée suite à l’intervention russe donc, et une fragilisation de la situation économique, sociale et financière des pays concernés.
On peut parler d’un retour perdu pour les quelques régimes autoritaires africains ayant choisi la voie russe.
À cela s’ajoute la perte urgente du soutien occidental et particulièrement français aux flux d’aide aux niveaux bilatéral et multilatéral (institutions de Bretton Woods), ainsi que la perte des traitements d’allégement de la dette les plus généreux. dette pratiquée par le Club de Paris, un groupe de créanciers dont la France assure le secrétariat.
Plutôt que de parler « retour gagnant » de la Russie en Afrique, on peut plutôt parler d’un retour perdant pour les quelques régimes autoritaires africains ayant choisi cette voie. Cet ajout risque d’être particulièrement cruel pour les populations concernées.
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