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Pourquoi le prix Nobel de physique 2024 n’est pas pertinent

L’attribution du prix Nobel de physique 2024 à un physicien (John Hopfield) et à un psychologue (Geoffrey Hinton) pour leur contribution au développement d’algorithmes d’apprentissage automatique basés sur des réseaux dits « neuronaux » a surpris plus d’un. de nombreux physiciens. La finalité originelle des prix créés par Alfred Nobel à la fin du XIXe sièclee siècle étant de récompenser une invention ou une découverte utile à la société, on comprend que le comité Nobel n’a pas voulu passer à côté de ce que certains se sont empressés de qualifier de « révolution technologique ». Mais comment justifier ce prix dans le contexte des Nobel ? Après tout, le prix Turing – souvent appelé le « Nobel de l’informatique » – avait déjà salué cette avancée informatique en 2018 en honorant Geoffrey Hinton et ses deux collaborateurs, Yann Le Cun et Yoshua Bengio !

Quoi qu’on en pense, le choix du comité de l’Académie suédoise des sciences soulève la question de savoir ce qu’est finalement la physique et si les travaux des lauréats relèvent réellement de cette discipline. L’histoire des sciences nous enseigne que les frontières entre les disciplines se déplacent, voire disparaissent. Ils étaient assez clairs au moment où Nobel rédigea son testament en 1896 et identifia la chimie, la physique et la physiologie ou médecine. Mais seulement dix ans plus tard, le lien entre la chimie et la physique s’est déjà atténué avec les travaux d’Ernest Rutherford et de Niels Bohr sur la structure de l’atome. C’est ainsi que, à son grand regret, Rutherford obtient le Nobel de chimie et non de physique comme il l’espérait, tandis que Bohr reçoit le Nobel de physique en 1922. Depuis les années 1960, la frontière entre chimie et biologie s’affaiblit à son tour avec la développement de la biologie moléculaire.

Une chose demeure cependant : l’objet des sciences naturelles reste la matière non vivante (physicochimique) et biologique. Mais la surprise du Nobel de Physique 2024 est là : on ne voit pas quoi objet la physique est étudiée, car les travaux des lauréats se concentrent sur les algorithmes informatiques. C’est là que, selon moi, le comité Nobel use de sophisme en affirmant que parce que les lauréats ont utilisé des « outils » issus de la physique statistique, ce qu’ils font, c’est de la physique.

À quand un Nobel de physique sur la modélisation des phénomènes sociaux ?

En fait, il s’agit essentiellement d’une utilisation analogique du célèbre modèle d’Ising, datant de 1924, qui analyse le magnétisme d’un ensemble d’atomes ayant un spin de + 1 ou – 1. Un physicien statisticien a salué le choix du comité et a même déclaré que les réseaux de neurones sont depuis longtemps considérés comme faisant partie du physique statistique! Or, il existe ici une curieuse confusion entre méthodes et objets. Le propre des méthodes mathématiques, ici celles de la physique statistique, est d’être transposables, car elles ne sont en quelque sorte que des syntaxes applicables à des objets de nature très diverse qui n’ont rien de commun sur le plan ontologique. Ainsi, nous utilisons le modèle d’Ising en « sociophysique » pour modéliser des phénomènes sociale comme le vote : voter pour ou contre remplace le spin de l’atome et on ajuste les paramètres du modèle pour reproduire des données empiriques. Ces mêmes méthodes sont également largement utilisées en « éconophysique », domaine dont le sujet ici est le comportement économique des agents et non des atomes. Et tous ces travaux paraissent dans des revues de physique statistique !

Bref, prétendre que les lauréats font de la physique sous prétexte que les méthodes mathématiques utilisées sont les mêmes est un sophisme qui sous-entend que la sociologie et l’économie font désormais partie de la physique, car elles reposent sur les mêmes mathématiques… A quand une physique ? Nobel pour la modélisation des phénomènes sociaux ?

 
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