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« L’écocide est une arme de guerre »

Accident ou acte délibéré ? À la mi-août, alors que des combats se déroulaient dans la région de Koursk en Russie, des tonnes de matières polluantes provenant d’un site industriel de la petite ville frontalière de Tiotkino ont été déversées dans la rivière Seïm. Cette pollution a ensuite été constatée dans la Desna, en Ukraine. Les berges étaient couvertes de poissons morts : 44 tonnes d’animaux ont été évacuées.

Les élus ukrainiens accusent désormais la Russie d’avoir intentionnellement « empoisonné » ces deux rivières. Un acte qui pourrait alors être qualifié de« écocide »selon Sophie Marineau, doctorante en histoire des relations internationales à l’Université catholique de Louvain (Belgique).

Reporterre — Comment analysez-vous cet épisode de pollution en Ukraine ?

Sophie Marineau — L’écocide met délibérément en danger ou attaque l’environnement. Si la pollution des rivières Seym et Desna vient réellement d’un déversement volontaire de composés chimiques, alors oui, on pourrait appeler cela un écocide.

Globalement, la Russie de Vladimir Poutine utilise les catastrophes environnementales et les dégâts causés pour faire pression sur l’Ukraine. L’écocide devient alors une arme de guerre.

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Pollution des rivières Seym et Desna en Ukraine.
© Louise Allain / Reporterre

Comment est-ce une arme, et non “ seulement » dommages collatéraux de la guerre ? Dans le cas de la rivière Seym, par exemple, des combats ont eu lieu autour…

C’est une stratégie pour faire la guerre. Dans un monde où les ressources ne sont pas infinies, l’écocide obligera l’Ukraine à investir dans la reconstruction des infrastructures détruites. Des moyens – qu’ils soient humains, matériels ou financiers – qui ne seront pas investis dans le complexe militaro-industriel.

Lire aussi : Ukraine : « L’environnement est la victime silencieuse de cette guerre »

Dans le cas des rivières Seym et Desna, nous savons que les habitants consommaient l’eau de ces rivières, des poissons, des mollusques, etc. Par conséquent, polluer délibérément ces rivières est une manière pour la Russie de priver la population de ressources. Les scientifiques estiment qu’il faudra deux à trois ans avant que les rivières puissent se rétablir (si les déversements de produits chimiques s’arrêtent). Au cours de ces années, cela obligera la population soit à se déplacer, soit à dépenser des ressources humaines, matérielles et financières pour remplacer ce que la Source d’eau fournissait en termes d’eau potable ou de nourriture. Cela oblige l’État ukrainien à réorienter ses ressources vers un besoin qui n’existait pas auparavant.

Depuis le début de la guerre en février 2022, y a-t-il eu d’autres événements marquants qui, selon vous, s’inscrivent dans cette tactique d’écocide ? ?

Oui, la destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023 par exemple. Cela a détruit plusieurs milliers d’hectares de forêt, la faune a également été touchée [des dizaines de villages ont été inondés et des milliers de citoyens ukrainiens ont été évacués].

La Russie a également ciblé d’autres barrages et centrales hydroélectriques dans la banlieue de Kiev, pour couper l’approvisionnement en eau ou en électricité. Les infrastructures ciblées sont celles dont la reconstruction serait longue, ce qui impliquerait beaucoup de ressources matérielles, humaines et financières. Un rapport de la Banque mondiale estime déjà les coûts de reconstruction à près de 500 milliards de dollars [environ 459 milliards d’euros] pour l’ensemble du territoire de l’Ukraine.

Il y a aussi le cas de la centrale nucléaire de Zaporizhia, la plus grande d’Europe. S’il était touché, cela provoquerait une catastrophe environnementale importante, qui aurait des conséquences sur l’Ukraine ainsi que sur ses voisins.

Que peuvent faire les militants écologistes pour lutter contre ces écocides ? ?

Tant que la Russie déploie autant de ressources, il sera très difficile pour les individus de les limiter. Mais l’Ukraine, en tant qu’État, a fait deux choses. Premièrement, elle a ajouté l’écocide comme crime dans sa législation. Si une personne est arrêtée dans le pays et qu’il peut être prouvé qu’elle a collaboré ou provoqué un écocide, elle peut être arrêtée, jugée et condamnée pour cela. Il peut s’agir d’un citoyen ukrainien collaborant avec l’envahisseur, d’un combattant ou d’un dirigeant russe, d’un combattant international…

Parallèlement, l’Ukraine tente de faire reconnaître la notion d’écocide par la Cour pénale internationale (IPC). Volodymyr Zelenski [le président de l’Ukraine] souhaite attirer l’attention sur les conséquences directes de ces atteintes sur l’environnement, mais également sur les conséquences à court, moyen et long terme sur sa population. C’est loin d’être gagné, cette reconnaissance est très complexe.

Quelle est la reconnaissance internationale de l’écocide ? ?

Certains États insulaires qui subissent les conséquences directes du changement climatique – comme Fidji, Samoa et Vanuatu – souhaitent également que la Cour pénale internationale ait cette compétence. [elle est aujourd’hui seulement compétente pour juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression]. Mais cela nécessite de définir l’écocide selon des critères très précis : qu’est-ce qu’un écocide ? ? Comme un geste délibéré ? Comme des dommages collatéraux ? C’est un concept délicat et la définition n’est pas si simple.

Par ailleurs, certains États luttent depuis des décennies pour faire reconnaître un acte de génocide sur leur territoire sans y parvenir, alors même que le génocide relève déjà de la compétence de l’État. IPC. C’est le cas par exemple de la Bosnie avec le massacre de Srebrenica en 1995. [plus de 8 000 hommes et enfants musulmans bosniaques avaient été tués par l’armée de la République serbe de Bosnie, durant la guerre de Bosnie-Herzégovine]. Ainsi, même si le IPC obtenu une nouvelle compétence, cela ne signifie pas que l’Ukraine obtiendrait gain de cause.

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