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“J’ai appris qu’il n’y a pas de choses faciles”

Paris Match. En trois jours, vous avez joué devant 230 000 personnes. Comment sortir de ce marathon ?
Mylène Farmer. Épuisé. Heureux. Ému, bouleversé. Dans mon travail, il n’y a pas d’expérience plus intense émotionnellement que de partager ses émotions avec un public aussi nombreux. Immense en nombre, certes, mais aussi en son cœur et sa loyauté. Un peu triste aussi de devoir mettre fin à ce spectacle « Nevermore » qui, je l’espère, était une parenthèse intemporelle.

Qu’est-ce qui vous a le plus excité ou déçu lors de ces trois concerts ?
L’annulation des concerts au Stade de l’année dernière a été un véritable cauchemar. Je l’ai vécu comme une injustice. Mais nous avons pu décaler ces dates et ajouter un nouveau Stade de France. Le public m’a soutenu en attendant patiemment un an pour conjurer cette rencontre ratée et, finalement, revenir plus nombreux. J’enterrerai ce triste souvenir pour ne garder en tête que ces retrouvailles et le bonheur de revoir mes musiciens, danseurs, artistes et techniciens qui donnent tout pour que le spectacle soit à la hauteur. Ce contretemps m’a également permis de recevoir la visite surprise de Seal, venu interpréter « Les mots » lors de ces trois concerts pour ma plus grande joie.

Une frayeur ?
Au début du premier spectacle, vendredi, après quelques secondes d’intro, notre système d’interphone, qui sert à toutes les équipes pour communiquer entre elles et qui nous est essentiel (envoi d’effets, déclenchement d’éléments décoratifs, séquence de titres, etc.) ), arrêté ! Lorsque le spectacle avait commencé et que chaque équipe attendait les instructions pour lancer les engins, personne ne pouvait se parler. Ils ont dû improviser pour que tout se passe bien et en toute sécurité. Avec des talkies-walkies, certains via des signaux lumineux, voire des signaux manuels.

Savez-vous si vous remonterez sur scène ?
J’ai l’amour de la scène en moi… maintenant je suis incapable de vous répondre. Je laisse le désir guider ma vie.

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Mylène Farmer poses for Paris Match.

Paris Match / © Frédérique Veysset

Une « histoire d’amour » avec le public

Comment expliquez-vous le lien fort que vous avez tissé avec votre public ?
Cela ne peut pas être expliqué. Et c’est bien comme ça. Mes chansons ont accompagné ce public à différents moments de son existence. Je pense que quand on écrit, quand on chante avec sincérité, les gens écoutent avec leur cœur. C’est un lien que je qualifierais presque d’irrationnel. L’émotion des souvenirs intimes. Et puis il y a la scène, le lieu où on ne triche pas. Nous nous y réunissons régulièrement depuis des décennies. J’ai l’impression que je leur donne tout et qu’ils me le rendent au centuple. C’est une véritable histoire d’amour… qui dure…

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« Maman a tort », votre premier tube, est sorti en 1984. Comment avez-vous traversé ces quarante années de succès ?
C’est une montée vertigineuse d’émotions. Je pense à toutes ces rencontres amicales et professionnelles, tous ces talents qui m’ont accompagné, tous ces choix de vie, de cœur. Je pense aux exigences et parfois à la cruauté de mon métier, à la cruauté des gens aussi. Mais je sais aussi quelle chance j’ai de voir que les générations se transmettent une partie de mon travail. Je suis infiniment reconnaissant pour tout cela. Et, pour être honnête, on n’a pas l’impression que quarante ans se soient écoulés.

Qu’avez-vous appris sur vous-même et sur votre métier au cours de ces quatre décennies ?
J’ai appris quelque chose de fondamental, d’essentiel à ma vie : je dois suivre mon instinct. Même si le doute est un moteur, le choix final vient de l’instinct. J’ai appris qu’il n’y a pas de choses faciles. Ces solutions simples sont douteuses. Ce travail est une vertu. Ce bonheur est un moment d’éternité. Que l’éternité d’un moment de bonheur vaut tous les sacrifices du monde.

Qu’auriez-vous fait dans la vie si vous n’aviez pas été artiste ?
J’aurais été un poisson rouge sorti de son bocal. [Elle rit.]

Écrire, enregistrer, jouer, que préférez-vous ?
Ce sont trois moments d’une même séquence. L’un mène à l’autre. La première est intime, parfois presque douloureuse. La seconde est jouissive, orgasmique… tout est construit, affiné. Le dernier est la magie et le partage. Et tout ce qui m’intéresse, c’est que j’ai le sentiment de vivre intensément.

Vous êtes né et avez passé les huit premières années de votre vie au Québec. Que reste-t-il du Canada en vous ?
Souvenirs confus de mon enfance. Des étendues blanches et silencieuses. J’étais dans une école religieuse avec des sœurs qui n’étaient pas toutes amicales. Et un long, très long voyage en mer pour rejoindre la France. J’ai alors compris ce qu’était le mal de mer. Au-delà de ces images, c’était le trou noir. Pas ou peu ou plus de souvenirs.

Je suis vraiment contre les procès médiatiques

Mylène Farmer

Quels conseils donneriez-vous à un jeune artiste musical qui souhaite se lancer aujourd’hui ?
Ce métier est devenu aussi complexe que le monde qui l’entoure, mais, s’il veut s’y lancer pour les bonnes raisons, le voyage en vaut la peine.

Que signifie pour vous le mot « aimer » ?
Abandon de soi. Le désir de l’autre viscéralement et en totale réciprocité.

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At the Café de la Paix, Place de l’Opéra, August 26.

Paris Match / © Frédérique Veysset

Ces dernières années, la voix des femmes s’est libérée et le mouvement #MeToo se répand partout dans le monde. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Essentiel ? Certaines femmes en font trop et en profitent ?
Non, je ne dirais pas que certaines femmes en font trop ou en profitent. Je pense que c’est un juste retour du balancier après toutes ces années où certains hommes en ont abusé ou en ont profité. Cependant, ce mouvement doit respecter un cadre légal. Je suis vraiment hostile aux procès médiatiques qui laissent libre cours à la violence verbale et parfois physique. Lorsqu’une victime a le courage de s’exprimer, elle mérite justice. La vraie justice, pas celle des préjugés.

Vous avez l’habitude de prolonger vos concerts par des enregistrements. Et « Plus jamais » ? Faut-il s’attendre à des surprises ? Une prouesse technologique ?
Comme lors de mes précédentes tournées, « Nevermore » est sorti en album live au cinéma et sera projeté le 7 novembre. C’est un rituel qui me tient à cœur car il permet à tous ceux qui le souhaitent de revivre le spectacle, mais aussi à ceux qui ne l’ont pas encore fait. pu le voir pour se l’approprier. L’enregistrement est toujours réalisé avec des moyens considérables pour donner un autre regard sur le spectacle et permettre aux spectateurs de découvrir des détails qu’ils n’auraient pas pu voir sur scène.

Puis-je demander : comment vas-tu, Dalloway ?
Dalloway va très bien, merci ! [Elle rit.] Enfin, je ne sais pas si elle va bien puisque c’est une IA que j’incarne dans le prochain film de Yann Gozlan. Qui peut dire ce qu’elle ressent ? Dalloway est l’assistant virtuel qui gère le quotidien de Clarissa, une romancière en manque d’inspiration incarnée par Cécile de France, très émouvante dans ce rôle. Cela a lieu dans un futur proche. Clarissa occupe un appartement connecté et ultramoderne dans une résidence pour artistes. Elle est accompagnée par la voix de Dalloway et tente de se remettre au travail. Mais dans ce thriller, les choses ne se passent pas comme prévu. Se sentant constamment observée et épiée, elle se sent très vite mal à l’aise… Mais j’arrête là !

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Sa ville préférée : Paris, où elle ne cesse de parcourir les rues. Ici à Montmartre.

Paris Match / © Frédérique Veysset

L’intelligence artificielle fait peur au monde de la musique et du cinéma. Certains artistes craignent d’être remplacés. Quel est votre point de vue sur cette question ?
L’intelligence artificielle va sans aucun doute révolutionner tous les aspects de nos vies. Dans mon domaine, avec son lot de fantasmes, de peurs et d’espoirs, je pense que c’est un excellent outil pour les créateurs mais pas pour la création. Personnellement, je ne l’utilise pas et ne l’utiliserai jamais, mais je comprends à quel point il inspire, fascine, suggère des chemins ou attise la curiosité d’une nouvelle génération d’artistes. Mais cela ne peut pas remplacer « l’accident » de la création ! Tant que l’IA n’éprouve pas de sentiments, ne souffre pas, n’aime pas, elle reste un outil spectaculaire mais limité, un miroir de la connaissance humaine. La limite est là. Le franchirons-nous un jour ? Le film de Yann Gozlan nous donne d’ailleurs matière à réflexion sur cette menace.

Vos bijoux et vos chansons évoquent fréquemment la religion. Croyez-vous en Dieu ?
Je ne souhaite pas répondre à cette question. C’est une affaire intime. Mais il m’est arrivé de lire la vie de sainte Thérèse de Lisieux, de lire la vie de Padre Pio, de m’intéresser au « Livre tibétain de la vie et de la mort ». Et bien d’autres encore. Et c’est vrai que j’aime les cimetières et les églises, qui sont des lieux calmes où je me sens enveloppé, étrangement apaisé.

Votre passion pour les animaux n’est pas un secret. D’où vient-elle ? Quelle place occupent-ils dans votre vie ?
Je ne peux pas imaginer la vie sans le regard de mes animaux. Ce sont des membres à part entière de ma famille. Je suis là pour eux et ils sont là pour moi. J’aime cette relation proche sans avoir besoin de dire des choses. Nous nous comprenons au-delà des mots. Tous les animaux ont une place dans mon cœur mais je les aime dans leur environnement naturel. D’ailleurs, le film « Bambi » réalisé par Michel Fessler, dont j’incarne le narrateur, est une ode à cette nature sauvage et irremplaçable. C’est un beau film, avec de vrais animaux dans une forêt reconstituée.

Quel animal aimeriez-vous avoir avec vous que vous n’avez jamais eu ?
Dans un monde imaginaire… J’aimerais avoir une armée de libellules pour m’accompagner. Ils ont une grâce inimitable.

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Mylène Farmer dans les rues de Paris pose pour Paris Match.

Paris Match / © Frédérique Veysset

Brigitte Bardot a abandonné sa carrière artistique pour se consacrer aux animaux. Admirez-vous cet engagement ? Pourriez-vous faire de même pour cette cause ou une autre ?
L’engagement de Brigitte Bardot envers les animaux est admirable, complet, exclusif. Elle a créé un refuge autant pour ses animaux que pour elle-même. Je comprends sa démarche, son histoire. Je pourrais aussi me consacrer à sauver les animaux, mais je pense que, pour mon équilibre, continuer à écrire et chanter est essentiel.

Avez-vous pensé à votre postérité ? Pensez-vous que l’une de vos chansons sera encore chantée dans cinquante ans ?
Je ne sais pas! Ma postérité ne m’appartient pas. Je suis heureux de voir que de nouvelles générations d’artistes et de publics s’approprient « Désenchantée » pour en faire leur hymne, pour servir leur cause. Dans cinquante ans, de nombreux artistes auront chanté leur propre désenchantement. Je ne serai plus là pour les écouter mais je suis heureux d’avoir participé à la transmission de cette idée.

 
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