C’était il y a cinquante ans, le 24 décembre 1974, dans la Somme. Alors qu’elle s’apprête à partir pour la messe de minuit, Marie-Louise perd les eaux. La surprise est totale pour la jeune femme, certaine d’avoir lu quelque part qu’un bébé toujours énergique dans le ventre de sa mère – ce qui était le cas du sien – n’est pas prêt d’arriver de si tôt. Loin de se laisser envahir par l’excitation de l’ambulance, Marie-Louise reste silencieuse, sereine et “spirituellement dans les anges”, le coeur déjà immergé « dans la joie de cette nuit des promesses ».
Une heure après son arrivée à l’hôpital, à 22h40, une petite fille, Anne, est née. En relisant cet accouchement unique, guidée par un obstétricien en costume de réveillon et nœud papillon, Marie-Louise évoque aujourd’hui combien “recevoir le cadeau de la vie le 24 décembre, c’est Noël qui prend tout son sens”.
Comme elle, certains de nos lecteurs interrogés sur le Noël qui les a le plus marqué témoignent de la coloration spirituelle toute particulière que prend cette célébration, lorsque des événements aussi puissants qu’une naissance, un premier souvenir d’enfance, un décès… s’ajoutent à la famille. retrouvailles et festivités.
Mystère de la Nativité
Qu’ils soient catholiques pratiquants ou plus éloignés de l’Église, les jeunes parents en attestent : l’arrivée d’un enfant peut donner goût “différemment” le mystère de la Nativité. Ce témoignage a frappé Stéphanie Vibert le soir du 24 décembre 1996, alors qu’elle assistait pour la première fois à la messe de Noël avec son bébé de quatre mois. Pour résister au froid dans la cathédrale de Meaux (Seine-et-Marne), elle se voit emmailloter l’enfant sous des couches de couvertures. Comme un peu «crèche vivante» contemporain, la scène « nous fait pleinement prendre conscience de Jésus qui est devenu non seulement un homme de chair, mais aussi un bébé, fort et fragile, dépendant, unificateur de joie et de promesse de vie ». « C’est fou, pour un Dieu ! “, s’exclame-t-elle trente ans plus tard.
A 70 ans, Madeleine reste aussi habitée par le fervent souvenir de son « première vraie messe de minuit ». La petite fille qu’elle était revoit le cortège familial se dirigeant dans la nuit vers une chapelle voisine. Sans éclairage public ni lampe de poche, se frayant un chemin au fil des étoiles, Madeleine marche sur les traces de silhouettes sombres – celles de son père et de sa mère ou de sa tante, elle ne les connaît plus très bien.
Peu importe, elle ne peut pas s’arrêter de sauter : « Première fois, première foi, cette nuit, je sais, comme chaque nuit de Noël, Jésus naîtra. » Depuis, chaque 24 décembre, « Sous les lumières artificielles des villes ou dans la boue des routes, nul besoin d’évoquer cette image d’attente heureuse dans l’air glacial. Elle est toujours là. prêt à rincer.
Une « grande lumière »
Fête familiale par excellence, Noël est traditionnellement un moment privilégié de rassemblement et de transmission intergénérationnelle. D’une année sur l’autre, elle propose une photographie captant les reconfigurations familiales au fil du temps : l’arrivée d’un enfant donc, mais aussi le mariage d’un frère ou d’une sœur, le décès d’un parent… Dans la conscience collective, ces « premières » ainsi que les « derniers » Noëls apparaissent comme autant de marqueurs existentiels – joyeux, mélancoliques ou plus douloureux. Certains confient que la mort d’un proche les a, paradoxalement, amenés à appréhender différemment l’espérance de la Nativité.
Pour Claudie et Alain Brouillet, tous deux septuagénaires, ce Noël 1999 fut le dernier du siècle, mais surtout le dernier pour leur fille Karine, 20 ans. Quelques semaines plus tôt, l’état de santé de ce dernier – atteint d’un cancer des os – s’était dégradé. Malgré tout, elle a tenu à avoir un rôle lors du réveillon de Noël. Force d’âme campée sur deux jambes tremblantes, Karine avait entonné ces paroles du prophète Isaïe au pupitre : « Les gens qui marchaient dans les ténèbres virent surgir une grande lumière ; une lumière a brillé sur les habitants du pays des ténèbres. »
Vingt-cinq ans plus tard, Claudie est toujours bouleversée : « Elle nous a rappelé que l’enfant Dieu que nous célébrions cette nuit de Noël traverserait la souffrance et l’agonie pour ressusciter le troisième jour et nous emmènerait tous avec lui. » Cette réflexion spirituelle a accompagné les parents de Karine tel un ” promesse “. A tel point que sa mort, un mois plus tard, résonne pour eux comme l’accomplissement d’un ” passage “, leur fille laisse derrière elle « l’héritage de son courage et de son espérance ».
« La vie éternelle »
Cette espérance dans la vie éternelle, sœur Pierre-Élisabeth, Claire de Poligny (Jura), dit l’avoir découverte dans une profondeur nouvelle en vivant son premier Noël au monastère, en 2020. Ce soir-là, à l’heure de la veillée, une triste nouvelle arrive au réfectoire : la doyenne de la communauté, âgée de 99 ans, sœur Marie-Pierre, vient de décéder. Plutôt que de prier l’office dans la chapelle, les religieuses décident de se rassembler autour du lit du défunt. “Je n’avais pas la force de vivre ce moment avec mes sœurs, traces Sister Pierre-Élisabeth. J’écoutais les psaumes dans le couloir qui menait à sa chambre en me demandant comment on allait pouvoir fêter Noël dans ces conditions… »
Mais quelques heures plus tard, alors que commence la messe de Noël, la postulante – étonnamment perturbée par ce décès d’une religieuse qu’elle connaissait très peu – se sent “accablé par la certitude” présences invisibles autour d’elle. «Je savais que notre sœur était là» trace celui qui prend conscience de « la force de la communion des saints » et ce que dit le Concile Vatican II à propos de la liturgie : « À la liturgie terrestre, nous participons par un avant-goût de cette liturgie céleste qui est célébrée dans la ville sainte de Jérusalem, à laquelle nous tendons comme des voyageurs. » Depuis, chaque Noël, elle salue sœur Marie-Pierre, certaine d’être associée à leur communauté.
Une frontière poreuse
Un moment de transmission, de partage de la mémoire de proches décédés : la nuit de Noël est sûrement de celles qui rendent plus poreuses les frontières entre la vie et la mort, entre la terre et le ciel. Anne Nourrisson, 49 ans, se souvient avoir vécu une « La grâce de Noël » suspendu “entre trois générations” avec son mari, ses enfants et sa grand-mère de 93 ans. Tout le monde le savait : diagnostiquée d’un cancer du pancréas, cette dernière devait y passer son dernier Noël. Ainsi, avant le début de la messe, dans la collégiale de Montbrison (Loire), personne n’a été vraiment surpris de la voir épancher ses confidences, léguant à ses descendants « ses souvenirs, ses valeurs, ses boussoles de vie ».
« Une de ses phrases m’a marqué : « Ce qui compte, c’est le chrétien et l’homme en action. » dit Anne. Mais c’est aussi une dernière scène de vie qui a retenu son attention ce soir-là dans l’église. Celle de sa grand-mère refusant vigoureusement de prononcer la nouvelle version du Notre Père – la formule « Ne nous soumets pas à la tentation » ayant ensuite récemment cédé la place à « Ne nous laissons pas tomber en tentation. » “Oh non! Quelqu’un m’a déjà fait ça ! Je ne change pas les paroles ! “, » a alors éclaté le nonagénaire, provoquant les rires dans l’assemblée. Depuis, confie Anne, « En souvenir de ce moment, lorsque nous prions pour elle, nous récitons toujours le Notre Père comme elle l’a dit. »
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Des témoignages aux tonalités variées
En réponse à l’appel à témoignages lancé début décembre par La Croix pour votre Noël le plus mémorable, une cinquantaine de mails et de lettres des lecteurs sont parvenus à la rédaction.
Des années 1940 à l’année dernièreces histoires témoignent des grands bouleversements de l’époque : occupation allemande dans l’Est de la France, décolonisation en Algérie, guerre du Vietnam, pandémie de Covid…
Succinct ou plus long, joyeux, drôle ou triste, voire très douloureux, ces messages, aux registres et tonalités variés, témoignaient chacun d’un sens singulier donné à la célébration de Noël.