« L’analyse freudienne que j’ai faite à 40 ans m’a permis de comprendre le pouvoir des mots »

« L’analyse freudienne que j’ai faite à 40 ans m’a permis de comprendre le pouvoir des mots »
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Histoire –Quand avez-vous rencontré Freud pour la première fois ?

François Berléand – J’avais 17 ans et c’était ma dernière année. Suite à un petit malaise dans la cour, je me suis retrouvée à l’infirmerie, où travaillait la psychologue scolaire. Clairvoyant, détectant mes faiblesses, cet homme, d’à peine quatre ans mon aîné, m’a proposé son aide avec une grande bienveillance.
J’ai accepté. Lors de nos séances, il m’a parlé de Freud (1856-1939), fondateur de la psychanalyse, parlant très simplement des notions de conscient, de préconscient et d’inconscient. C’était la première fois que j’entendais parler du neurologue autrichien et de ses théories. J’ai vu ce thérapeute régulièrement pendant trois ans. Il m’a délivré de mes démons. Ce qui n’était pas une mince affaire. Toute mon enfance a été encadrée par des psychologues, des pédopsychiatres, etc. J’étais gauchère, ça commençait bien ! (Rires.) Ma grand-mère maternelle disait que c’était la main du diable, qu’il me serait impossible de faire un chèque ou d’allumer une cigarette avec un briquet. J’avais de la dyslexie, de la dysorthographie, de la dyscalculie et j’étais complètement dépassée par la méthode globale. Très vite, j’ai été désigné comme étudiant séparé et redirigé
à une classe spéciale. Lorsque j’ai échoué au concours d’entrée en 6ème, j’ai été envoyée directement chez un psychologue, une orthophoniste et placée dans un cours particulier.

Cette enfance unique vous a rapproché de lui…

L’analyse freudienne que j’ai faite à 40 ans m’a permis de comprendre le pouvoir des mots, dont j’ignorais l’enfance. Deux événements traumatisants ont été décisifs dans ma vie. J’avais 10 ans quand mon père me dit devant ses amis : « De toute façon, tu es le fils de l’homme invisible. » Je l’ai pris au mot. J’allais à l’école en prenant le petit train d’Auteuil à Porte Maillot. Je suis assis dans un carré de quatre places et deux passagers prennent place sur ma banquette. Pas étonnant, je suis invisible. Je fais des grimaces à un voyageur qui me regarde ; il ne réagit pas. Logiquement, je suis invisible.
En arrivant à l’école, je prends une pierre dans ma main et la montre à mon ami. ” Que vois-tu ? ” J’ai dit. ” Une pierre ! » Je ferme les doigts sur la pierre et lui pose la question. «Eh bien, rien», répond-il, exaspéré. J’arrive en classe, le professeur me désigne une place pour m’asseoir. Comment me voit-elle ? Ce sont mes vêtements ! Immédiatement, je les retire pour être complètement invisibles ! Les gros problèmes ont commencé à ce moment-là… (Rires.) L’autre traumatisme est survenu après mon expulsion du collège Sainte-Barbe.
Je suis en 3ème année. Je change constamment d’établissement et rejoins une énième école avec des élèves sujets à de graves problèmes psychologiques. Le professeur d’histoire distribue les exemplaires et annonce qu’il a donné un zéro à l’adolescent assis à côté de moi parce qu’il a écrit « les évêques se sont succédé de père en fils ».
J’ai éclaté de rire. Mon ami me regarde et me dit : « Est-ce que le mongol te fait rire ? » Je me demande alors si mes parents ont installé de faux miroirs pour normaliser mon image et ne pas me rendre triste. Ce mot a eu des répercussions terribles dans ma vie.

Que vous a apporté cette analyse freudienne ?

Elle m’a délivré. J’ai fait le lien avec ma propre expérience et trouvé des réponses à mes problèmes. Freudien et juif, le psychanalyste m’a fait comprendre que mon père était invisible dans notre cellule familiale. Il n’a jamais parlé à mon frère ou à moi. Ma mère était française et catholique, mais elle a épousé un juif russe et sa famille n’aimait pas les juifs, comme beaucoup de gens à l’époque.
Mes grands-parents maternels ne lui parlaient donc pas : il leur était invisible. Il n’a jamais été admis, même après sa conversion. Ma babouchka n’appréciait plus sa belle-fille qui lui avait volé son fils unique. Après mon analyse, j’ai écrit Le Fils de l’Homme Invisible [Le Livre de poche, 2008]dans lequel je racontais comment deux phrases ont eu des conséquences dramatiques sur mon développement personnel et mon éducation.

Quelle est son œuvre qui vous touche le plus ?

Freud – à travers mon analyse – a donné un sens à ma vie. Mais j’ai eu une révélation en lisant L’Interprétation des rêves. Freud s’attarde sur l’évolution des rêves et leur signification, évoque la question de « l’accomplissement du désir »… J’ai découvert l’importance des rêves grâce à ce livre. Insomniaque, je me réveillais souvent au milieu de la nuit pour écrire sur un petit cahier des phrases parfois impossibles à relire au petit matin. J’ai également passé beaucoup de temps à parler de mes rêves à mon analyste. Il y a désormais tous les ouvrages de Freud dans ma bibliothèque, en français et en allemand, car mon partenaire
Le courant est germaniste. Le praticien m’a accompagné tout au long de mon parcours chaotique. Il est mon guide, mon mentor.

Le complexe d’Œdipe, théorisé par Freud lors de son auto-analyse, vous est-il familier ?

Oui, cela me paraissait évident à 14 ans – beaucoup moins maintenant. J’avais une passion pour ma mère et je passais tout mon temps avec elle. Une mère est-elle le premier amour ? Un amour qui tend forcément vers la séparation. La mienne était belle, très gaie et avec des yeux qui fascinaient tout le monde, car ils adoptaient la couleur de ses vêtements. Une femme au fort tempérament. Elle s’appelait Mater, pour « Marie-Thérèse ». Quand elle est morte, j’avais 26 ans, le monde s’effondrait. Soudain, je me suis dit : « Tu es un homme, mon fils. »

Votre père était juif, comme Freud. La judéité vous a-t-elle rapproché du psychanalyste ?

Je ne connaissais pas vraiment mon père. Il était très silencieux lorsque nous étions entre nous, mais très fanfaron lorsqu’il y avait des invités. L’histoire de ma famille juive est très complexe. Ma babouchka était avocate en Russie et a abandonné sa profession pour épouser mon grand-père juif ukrainien. Ils s’installent à Odessa et elle devient actrice en yiddish et en hébreu. Mon père est né en Moldavie et, comme ses parents travaillaient à Odessa, à 300 kilomètres de là, il a été élevé par mes arrière-grands-parents. A 16 ans, il arrive en France, étudie la médecine pendant quatre ans avant d’y renoncer et d’écrire des critiques de films pour un journal russe ! Durant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint les Corps Libres.
Fait prisonnier, il parvient à s’évader et à survivre car il parle parfaitement l’allemand. Son père Moïse est mort à Auschwitz, il n’en a jamais parlé. Il était juif, mais ne croyait plus du tout en Dieu. À sa mort, sa dernière épouse ordonna des funérailles catholiques.
Mon frère et moi ne pouvions rien dire. Nous sommes restés à l’extérieur de la chapelle et les avons rejoints pour l’incendie. Je me suis définitivement mis en colère contre ma belle-mère. Mon père, athée, s’est converti au catholicisme uniquement par amour pour ma mère. Freud, issu d’une famille juive libérale, n’a jamais nié sa judéité, mais il ne l’a jamais associée à la psychanalyse. J’ai toujours été intrigué par la question de la confession, qui existe chez les catholiques mais pas chez les juifs. Est-ce pour cela que Freud a développé l’analyse ? Est-ce une façon de se confesser sans avoir à être jugé par Dieu ?

Si tu dînais avec Freud demain, de quoi lui parlerais-tu ?

Autour d’un repas frugal – pourquoi pas du poisson ? –, accompagné de deux ou trois verres de vin blanc, je lui demanderais certainement pourquoi nous sommes ici. Quel est notre rôle sur terre ? Cette question me préoccupe depuis très longtemps. Que gagnerions-nous à ne pas naître ? Je ne cherche pas de soulagement mais de compréhension. Qu’est-ce que la vie, l’absurdité de la vie ? J’ai toujours eu une grande anxiété existentielle. Un peu moins avec l’âge, maintenant, car je sens l’inévitable approcher. J’imagine qu’on terminerait ce dîner par un délicieux Saint-Honoré – et surtout pas un strudel, comme certains pourraient s’y attendre (rires).

Vous avez déjà joué à plusieurs reprises les psychanalystes. Vous jouez actuellement Freud. Est-ce une consécration ?

Dans la pièce Par le bout du nez, de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, j’incarnais un psychanalyste dépêché en urgence à l’Élysée pour aider un président de la République en proie à des tics avant son premier discours à la télévision. Dans Noted’Audrey Schebat, j’ai aussi joué une psychanalyste.
Aujourd’hui, j’enfile les vêtements de Freud en Freud et la Pucelle, de Léonard de La Fuente au Théâtre Montparnasse. Interpréter le psychanalyste, me retrouver dans la peau du grand maître, est pour moi un véritable cadeau. Freud est un personnage brillant, il en est le sommet, le père de la psychanalyse moderne, le dieu vivant auquel il ne faut pas toucher !

Bio express François Berléand

Acteur polyvalent, aussi à l’aise dans les films policiers, les comédies qu’au théâtre, François Berléand est également familier des plateaux de télévision. Né à Paris en 1952, il suit des cours d’art dramatique auprès de Tania Balachova, après avoir abandonné ses études en école de commerce.
Il travaille de 1974 à 1981 avec le réalisateur Daniel Benoin et l’équipe du Splendid. Sa reconnaissance par le public, tardive, intervient en 1997 grâce au film Le septième ciel. François Berléand avait alors 45 ans. En 2000, il remporte le César du meilleur acteur dans un second rôle pour Ma petite entreprise, de Pierre Jolivet. Depuis, il a produit de nombreux films à succès, comme Les choristes, Le transporteur, Ne le dis à personne, et il ne quitte jamais la scène. Il joue actuellement au Théâtre Montparnasse à Freud et la Pucelle. Après un premier mariage et deux enfants, il partage pendant quatorze ans la vie de Nicole Garcia, puis aujourd’hui celle de la romancière et comédienne Alexia Stresi, avec qui il a eu des jumelles en décembre 2008.

Bio express Sigmund Freud

De son vrai nom Sigismund Schlomo Freud, le neurologue, né le 6 mai
1856 à Freiberg, en Moravie, est considéré comme le fondateur de la psychanalyse. Il s’intéresse d’abord à l’hypnose pour traiter les troubles hystériques, à la suite du professeur de Jean-Martin Charcot.
Mais ce sont ses théories révolutionnaires sur l’importance de l’inconscient, les désirs refoulés, la sexualité infantile, le complexe d’Œdipe et l’usage de la parole qui l’ont rendu célèbre. Ses conceptions ont donné lieu à des conflits avec certains de ses disciples, notamment avec Carl Gustav Jung. Avec le soutien amical et financier de Marie Bonaparte, il fuit l’Autriche nazie pour Londres en 1938. Il décède un an plus tard, laissant derrière lui un héritage considérable.
Marie Bonaparte continue de diffuser son travail, traduit ses livres en français et devient à son tour une personnalité influente de la communauté psychanalytique française.

 
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