Dans son dernier ouvrage, le politologue Philippe Marlière dénonce « Les Tontons Flingueurs de la gauche »

Dans son dernier ouvrage, le politologue Philippe Marlière dénonce « Les Tontons Flingueurs de la gauche »
Dans son dernier ouvrage, le politologue Philippe Marlière dénonce « Les Tontons Flingueurs de la gauche »

Comme il l’a écrit sur son compte X (ex-Twitter) jeudi 2 mai dernier, « Il n’y a pas de gauches irréconciliables. Mais il y a le sectarisme, les ambitions personnelles, l’orgueil, la bêtise de certains qui donnent l’impression que la gauche est ‘irréconciliable’». Un tweet en réaction à l’exfiltration forcée de la tête de liste socialiste aux élections européennes, Raphaël Glucksmann, interdit d’accès, par des militants de gauche, à une manifestation du 1er mai à Saint-Etienne. Il n’y aurait donc pas de gauches irréconciliables mais seulement des guerres d’ego, selon Philippe Marlière, politologue et professeur de politique française et européenne à l’University College London, qui vient de co-écrire un livre sur le sujet.

Un livre sous forme de lettres ouvertes

Cet ouvrage, co-écrit avec Philippe Corcuff, professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Lyon et publié le 3 avril aux Editions Textuel, “C’est un cri d’alarme” devant l’état de délabrement de « LA » gauche. L’ouvrage, appelé Les Tonton Gunslingers de gauche – en clin d’œil au célèbre film de Georges Lautner – analyse de manière originale les raisons du délabrement actuel de la gauche française, embourbée dans une crise sans précédent.

Les deux auteurs s’adressent ainsi, sous forme de lettres ouvertes, à six acteurs politiques, choisis parce qu’ils représentent, souligne Philippe Marlière, « différentes sensibilités problématiques de la gauche ». Parmi eux, l’ancien président de la République socialiste François Hollande, l’ancien candidat à la présidentielle La France Insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon, le député NUPES François Ruffin, le leader du parti communiste Fabien Roussel, philosophe “à partir de la gauche” Michel Onfray et enfin l’actuel président Emmanuel Macron. Ce dernier choix pourrait en surprendre plus d’un, reconnaît Philippe Marlière. Mais l’homme politique rappelle que l’actuel chef de l’Etat, avant d’être élu, a travaillé sous la présidence socialiste de François Hollande, à la fois comme secrétaire général de l’Elysée mais aussi comme ministre de l’Économie.

Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il n’y a pas de femme en sélection, il répond avec le sourire : “C’est plutôt bon signe.”. Il souligne également un point intéressant : les femmes, certes de plus en plus nombreuses présentes dans les partis, parfois en étant en tête (comme Marine Tondelier pour les Écologistes) ou en tête de liste (notamment pour les européennes, avec par exemple Manon Aubry pour La France Insoumise), ou encore des personnalités de plus en plus nombreuses occupant la scène politique en dirigeant par exemple les principaux syndicats français (Sophie Binet pour la CGT, Marylise Léon pour la CFDT), sont pourtant largement absentes de « la mère de toutes les élections »à savoir l’élection présidentielle, l’élection la plus importante aux yeux des Français.

Le manque d’« identité collective »

Mais pour revenir au sujet principal, à savoir l’état actuel de la gauche française, si ce n’est pas sa première crise, celle-ci pourrait être la pire qu’elle ait connue. Les raisons ? Certainement pas l’absence d’union. “Ce n’est pas non plus un problème de programme”. Non, son problème majeur réside en réalité dans sa crédibilité, estime le politologue. « Il manque aujourd’hui une identité collective, ce qu’on appelle un imaginaire ». Car le vote, rappelle-t-il, ne se décide pas seulement sur la base d’un programme, mais est une question d’émotion.

Si jusque dans les années 1980, la gauche était encore empreinte de cet imaginaire, elle a disparu suite à deux chocs majeurs qui l’auraient traversée. « D’abord, la fin du soviétisme à la fin des années 80 avec la chute de l’URSS, qui représentait le bloc contre le modèle anticapitaliste »analyse l’homme politique, “puis, s’est ajoutée la perte du soutien de la classe ouvrière, transformée face à la montée du capitalisme”. Des méthodes de travail plus fragmentées, l’évolution des conditions de travail, l’avancée du néolibéralisme et la fin des 30 Glorieuses auront donc eu une influence majeure sur l’effritement progressif de la gauche. «Même la droite modérée des années 70 expliquait qu’il ne fallait pas toucher à l’État providence, à l’interventionnisme. Mais au cours des 40 dernières années, nous avons assisté à un désengagement progressif de l’État, notamment dans des domaines importants comme la santé, l’éducation et les transports.. Un désengagement auquel la gauche, qui n’a pas su réinventer son imaginaire depuis, a également participé, et encore récemment sous la présidence de François Hollande.

La perte d’un discours authentique de gauche et une acceptation progressive des idées de droite et même d’extrême droite

Dans leur ouvrage, les deux co-auteurs abordent également ce qu’ils appellent « confusionnisme »autrement dit la perte d’un discours authentiquement de gauche. “Les dirigeants de gauche empruntent aujourd’hui dans leurs propos des valeurs véhiculées depuis longtemps par la droite et l’extrême droite, à la fois anti-européennes et anti-américaines”. Ce qui aboutit, selon Philippe Marlière et son collègue, à brouiller les repères de la fracture – pourtant essentielle, disent-ils – droite/gauche. Parmi les dignes représentants de ce confusionnisme, des personnalités comme Jean-Luc Mélenchon ou encore François Ruffin, selon les auteurs.

Le premier a d’ailleurs, selon Philippe Marlière, également contribué à l’échec de l’union de la gauche en raison de ses discours populistes. « Il participe à cette confusion en opposant le peuple aux élites qu’il diabolise, ce qui est une lecture simpliste. Or, les excès alimentent les ressentiments alors même que la démocratie doit avant tout être collective.». Si le discours d’une certaine gauche se qualifie aujourd’hui de néo-républicain – terme devenu « incantatoire et obscur » -, aujourd’hui ce serait plutôt teinté des mots « exclusif, raciste et islamophobe ». Une tendance née sous l’impulsion de Jean-Pierre Chevènement et reprise aujourd’hui par le Printemps Républicain. De quoi créer des tensions continuelles entre les différents courants de pensée de gauche.

Si ce n’est pas la première crise que traverse la gauche, celle qu’elle traverse aujourd’hui frise-t-elle la limite du réversible ? “Même après sept ans d’Emmanuel Macron, la gauche, passant du NPA au PS, reste fragmentée et seulement à un niveau global de 30% des voix”, explique le politologue. Loin derrière l’extrême droite. Philippe Marlière espère une réaction rapide, d’où le sujet du livre qu’il a co-écrit. Mais la gauche pour renaître doit être avant tout, « nuancé tout en restant fidèle à ses valeurs », démocratique, avec un porte-drapeau compétent mais aussi populaire et fédérateur. La nécessité de faire émerger de nouveaux visages – “pourquoi pas une femme”, estime Philippe Marlière – qui veut travailler au collège est donc urgent. Le politologue recommande que, pendant les trois prochaines années, avant la prochaine élection présidentielle, des séances de travail sur ce qu’est la gauche aujourd’hui, comment elle peut gérer sa diversité et la faire fonctionner démocratiquement, puissent être organisées. En attendant, une question se pose : les prochaines élections européennes pourraient-elles galvaniser les troupes si le PS arrivait en tête ? « Cela pourrait avoir un effet, mais ce serait à la marge » pense le professeur.

 
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