Un divorce qui tourne mal met la famille Mulliez dans le viseur de la justice

Un divorce qui tourne mal met la famille Mulliez dans le viseur de la justice
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Au coeur des montages du clan

Mais ces gens “ordinaire”, qui sont aussi milliardaires, traînent depuis une bonne décennie derrière eux un fardeau dont ils ne se débarrassent pas encore : des juges d’instruction, assistés par des enquêteurs de la police judiciaire de et de l’Office central de lutte contre la corruption et les délits financiers et fiscaux, ont mis le nez dans l’organisation financière du géant de la grande distribution et ont épinglé quelques membres de la famille, tout en restant sous le radar médiatique. Selon les de Libérerles magistrats ont ainsi, dès 2019, ont mis en examen Jérôme et Thierry Mulliez, petit-neveu et cousin germain de Gérard Mulliez. Ces inconnus du grand public, au cœur des machinations du clan, sont accusés de “abus de confiance” et une « blanchiment de fraude fiscale ».

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Ces deux hommes clés ont longtemps été à la tête de sociétés holding basées aux Pays-Bas – Claris NV et sa filiale Claris BV – ainsi que d’une structure au Luxembourg, filiale des précédentes, Austell Financière. Ces personnes morales ont également été mises en examen en janvier 2023 pour « blanchiment d’argent et fraude fiscale aggravés ». L’incrimination de « blanchiment aggravé » signifie que ces sociétés sont soupçonnées de pratiquer du blanchiment d’argent “de la manière habituelle”, décrypte un spécialiste. Autrement dit, systématique – et donc massive au regard de la solidité financière de la société Claris SA. Entre-temps, l’un des dirigeants des sociétés néerlandaises du groupe, Johannes Duivenvoorde, a été à son tour poursuivi pour “abus de confiance” Et « blanchiment de fraude fiscale ». Un autre membre de la famille est également placé sous le statut de témoin assisté pour les mêmes faits.

La justice a mis du temps à boucler ce dossier, ouvert en 2014 au tribunal judiciaire de Lille avant d’être délocalisé à Paris au pôle financier de l’enquête, avant d’être suivi par le Parquet national financier (PNF). En 2016, des perquisitions ont eu lieu en , en Belgique et au Luxembourg, suivies d’autres aux Pays-Bas en 2019. L’affaire traînait depuis de longs mois à Amsterdam: plusieurs recours avaient été déposés contre les saisies effectuées par le service d’enquête fiscale néerlandais à Duivenvoorde, spécifie une Source locale. L’homme de Mulliez estime que certains documents des cabinets d’avocats doivent être protégés par le secret professionnel.

Alice Clair / Julien Guillot. ©Libération

Vaste ensemble de structures

C’est la première fois que la justice s’intéresse d’aussi près aux flux financiers des Mulliez. L’enjeu est de savoir si la ligne jaune a été franchie entre l’optimisation fiscale légale – qui consiste par exemple à utiliser les subtilités des systèmes fiscaux des différents pays pour réduire la fiscalité – et la fraude illégale. En revanche, les membres de la famille ont régulièrement été régularisés par le fisc à titre individuel, notamment concernant leur impôt sur la fortune, lorsque ce dernier existait encore (il s’est transformé depuis 2018 en impôt sur la fortune immobilière).

En fait, ce sont les règles qui assurent la préservation du patrimoine de la dynastie qui sont au cœur du problème. De génération en génération, les centaines d’héritiers de l’industriel Louis Mulliez (1877-1952), lui-même issu d’une dynastie de fabricants de tissus, et de son épouse Marguerite, sont réunis depuis 1955 au sein d’une association, l’Association des Familles Mulliez (AFM). Huit cent cinquante-deux de ses 1 550 membres sont actionnaires des entreprises qui gèrent leur actif industriel : une centaine de marques connues dans le monde entier, dont le chiffre d’affaires global, bien que non officiel, dépasserait les 90 milliards d’euros. par an. Leurs conjoints, c’est-à-dire les « non-Mulliez » (appelés gentiment dans le jargon de l’AFM « valeurs ajoutées » et pas comme « pièces jointes ») sont acceptés dans ce club informel pour la durée d’une union, mais doivent renoncer à leurs titres si le mariage prend fin.

C’est l’un de ces divorcés, Hervé Dubly, séparé de Priscilla Mulliez, qui a braqué les projecteurs sur les pratiques en cause, ouvrant ainsi la porte à la justice. Il faut dire que l’empire surprend, et c’est peu dire, par sa constitution : c’est un ensemble tentaculaire de structures, un entrelacs de dizaines, voire de centaines d’entreprises imbriquées les unes dans les autres, non cotées en bourse, appartenant presque entièrement à à la famille. UN “nébuleuse” littéralement. L’entourage de l’AFM boude cette dénomination, préférant le terme “galaxie”

Une fiscalité plus accommodante

D’un côté de la chaîne, il y a les sociétés opérationnelles, qui exploitent des marques telles que Tapis Saint-Maclou, Auchan Hypermarché, Kiabi Europe et Leroy Merlin France. A l’autre extrémité, on retrouve une poignée de Mulliez en nom propre et surtout une demi-douzaine de holdings financières implantées en France et aux Pays-Bas. Ces sociétés holding offrent à la famille « contrôle total du pouvoir », souligne l’économiste Benoît Boussemart, qui a dénoué cet écheveau en la Richesse des Mulliez, exploitation du travail dans le groupe familial (Éditions Estaimpuis, 2008). Entre ces deux extrémités se trouvent des structures implantées en Belgique et au Luxembourg : des pays, faut-il le rappeler, où la fiscalité est parfois bien plus accommodante que celle appliquée en France. Et dans lequel les énormes flux financiers circuleront d’un bout à l’autre de la chaîne, sous forme de dividendes ou autres.

Bref, en divorçant, Hervé Dubly, entrepreneur basé en Belgique, a dû quitter une société civile, la Soderec (rebaptisée depuis Soliance) qui gérait alors les titres du clan. Impossible de parler à l’intéressé (il n’a pas répondu à Libérer), il faut se rendre sur son profil LinkedIn pour en savoir un peu plus sur le trublion. « À la tête d’entreprises d’accompagnement en santé depuis vingt ans, avec un objectif : améliorer les technologies pour les patients et les soignants », se présente, à 60 ans, comme le patron de plusieurs entreprises de matériel médical, comme Acime Frame.

Éjecté de la famille, n’ayant apparemment pas pu récupérer ce qu’il espérait au moment du partage matrimonial, il s’est battu jusqu’à la cour d’appel de Douai pour qu’un expert soit désigné afin de calculer la valeur des actions détenues par le couple. Le rapport d’expertise révèle ensuite qu’un prêt sans intérêt de 200 millions d’euros a été accordé par la Soderec à la holding néerlandaise de Mulliez, Claris NV. Et que surtout, un prêt d’un montant colossal de 1 milliard d’euros aurait été accordé en 2005 à une autre structure, Austell Financière, située au Luxembourg. A la date de l’expertise, 650 millions d’euros restaient à rembourser.

“Il n’y avait aucun avantage fiscal”

Pourquoi de telles sommes ont-elles quitté l’entreprise ? Faut-il les utiliser pour investir ailleurs ? Ou était-ce une manière discrète d’échapper à un impôt jugé trop élevé ? Les enquêteurs semblent voir des flux financiers dénués de substance, hormis peut-être celui de la baisse des impôts. Sur ce point, l’entourage de l’AFM répond qu’il s’agissait d’assurer la « diversification des investissements à l’étranger, les flux s’inscrivant dans une logique de développement économique ».

Associé de la Soderec, Hervé Dubly aurait tenté de s’informer de ce qui se passait dans l’entreprise, en vain. Il se rend compte grâce à l’expertise que d’autres associés ont également bénéficié de prêts, là aussi sans intérêts et donc susceptibles d’appauvrir l’entreprise, à hauteur de dizaines de millions, comme si cette dernière était discrètement pillée par ses propriétaires. Interrogé, l’un des avocats de la défense a assuré qu’il s’agissait simplement d’avances d’actionnaires, “entièrement remboursé depuis”. Quoi qu’il en soit, le mari expulsé a porté plainte pour “abus de confiance” en mai 2012 – une information judiciaire a alors été ouverte à ce sujet.

En 2015, le dossier a ensuite été élargi pour inclure « blanchiment de fraude fiscale » par le parquet de Lille avant d’être transféré au PNF. La Direction du Contrôle National et International, chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises, s’est également penchée sur le sujet et doit verser prochainement au dossier pénal les éléments obtenus dans le cadre de la procédure qu’elle mène depuis plusieurs années, ce qui pourrait conduire à une éventuelle reprise. Les juges reprendraient alors pour l’occasion une procédure qui avait été close l’année dernière, avant de la refermer à nouveau. Il appartient ensuite au PNF de signer son réquisitoire définitif.

Contacté par Libérer, les avocats de Jérôme et Thierry Mulliez, ainsi que Johannes Duivenvoorde, comme ceux des sociétés impliquées, n’ont pas souhaité commenter. Officiellement en tout cas. « Il n’y a eu aucun avantage fiscal ni fraude, suggère l’un d’eux. les groupes français ont des sociétés au Luxembourg et aux Pays-Bas, cela permet d’investir plus facilement à l’international et d’avoir des salariés anglophones. Un autre ajoute : “Les prévenus sont sereins quant à l’issue de l’affaire. Ils ont expliqué la parfaite régularité des opérations examinées. Les flux financiers sont transparents. La récente jurisprudence fiscale européenne a reconnu la parfaite légalité des démarches entreprises.» Selon des proches de l’AFM, « aucun avantage fiscal n’a été recherché, aucun avantage fiscal n’a été réalisé ». Les avocats ont déposé des observations pour classer l’affaire. Et les juges d’instruction décideront s’il y a lieu d’organiser un éventuel procès.

 
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