Carte Blanche : Cléo-Nikita Thomasson : Cartographie des roches

Carte Blanche : Cléo-Nikita Thomasson : Cartographie des roches
Descriptive text here

L’Œil de la Photographie ouvre le troisième chapitre de sa nouvelle section avec le soutien de MPB, les « Cartes blanches ». Chaque mois, un photographe français montrera une nouvelle série de ses mains ainsi que de son regard, s’essayant ainsi à matériel prêté par le plateforme internationale d’achat, de revente et d’échange de matériel photographique.

Après avoir découvert le bord de mer marseillais et le projet Mare Internum de la photographe Julia Gat, Cléo-Nikita Thomasson reste en Méditerranée à la recherche de jeunes insulaires corses. Mais la jeunesse est absente, ou sur l’île, devenue dispersée et invisible. A défaut de retrouver leurs visages, elle rencontre les paysages. Armé du Fuji GFX 100, son voyage de villages en vallées devient en images et en mots une quête intime, dans les vagues de ses propres souvenirs.

Voyage en Corse à la recherche de l’adolescence insulaire.
Notes de Cléo-Nikita Thomasson

« – Plus de fleurs sauvages peuplent les paysages montagneux et marins que les jeunes insulaires.

— En allant à Tollaré, village du Cap Corse, je rencontre une femme âgée qui y habite, elle me parle de l’Algérie : les côtes rencontrent les horizons, sept habitants par an, plus de jeunes.

— Aller à Lozzi au pied du Monte Cinco, croiser Jean, un villageois qui me dit qu’il n’en reste qu’une quarantaine ici, plus de jeunes, la tristesse dans la voix : les émotions et les géographies se répondent ” tous ont le sang de berger dans la vallée de la Balagne », plus d’un millier de personnes avant 1914.

— Du continent je fantasme sur une jeunesse loin des villes des îles.

— Remplacez les visages par des paysages si vous ne trouvez pas de jeunes.

— Lieu insulaire entre mer et montagne.

— Le médium de la photographie représente très bien ce vide, cette disparition, à travers le silence de l’outil :

« Silence de la photo. Une de ses qualités les plus précieuses, contrairement au cinéma et à la télévision, qu’il faut toujours faire taire, sans succès. »Jean Baudrillard

Les roches dans mon travail occupent une grande place, pour leurs silences, leurs âges millénaires, leurs éternités.

Figé dans le temps, érodé par l’eau, la pluie, le vent, le sel, le soleil.

Les mots apparaissent en moi : canyon, col, crevasse, falaise, grotte, montagne, ravin, récif, rochers, pierres, galets, galets, fissure… Et je les retrouve à proximité de cascades, de rivières, de cascades, de vallées, de bords de mer, de paysages perchés, où il y a des vagues, des raz-de-marée, des eaux crues.

Recherchez des détails, des textures pour avoir des réminiscences, pour ressentir les sens.

Rivière Fango

“Certains endroits ne changent pas”

Mon pèlerinage, ma rivière. Remontez, arrêtez-vous dans un bassin d’eau anonyme, puis asseyez-vous sur un morceau de rocher, entre eau et soleil. A l’abri de tout, sentiment d’enfance, de trésor caché et de solitude enviée. Les rochers sont les mêmes, les courants d’eau aussi, la lumière passe par les mêmes fissures des falaises. Et en m’essayant sur ce morceau de galet, en me lover contre la pierre chaude, je retrouve mon enfance, mon intimité : les souvenirs, les bruits, les odeurs : ma mère parlant au loin, l’odeur de la crème solaire « Soleil noir », pensées intimes, mon corps léger et mes gestes enfantins.

Je change, mais cette pierre ne change pas. Et j’y retourne pour regagner un peu de temps perdu et vivre un bout d’éternité avec ces roches violettes.

Cartographie de l’enfance.

L’île aux heures bleues

Un mot, un nom, un lieu, un lieu lisible sur ma carte mentale retient mon attention, celle d’un banc de sable, d’un lagon, d’une falaise. J’y revois une mythologie ancienne, mes souvenirs de famille, mes colères, mes joies, les plages de mon enfance.

« Hommage aux plages », « Solitude solaire » résonnent en moi.

Je fais mon premier voyage avec mes yeux puis tout mon corps devient cette île.

Mes émotions, mes sensations, mes perceptions me font ressentir les couleurs, goûter les parfums, toucher les sons, entendre les températures et voir les bruits de cette géographie poétique.

Je sens violemment mon corps exister dans mon lieu sûr, dans cet instant magique, merveilleux et grâce à mes photographies je peux traverser ce monde en silence.

Les aurores, les piqûres du soleil, les crépuscules et les nuits ponctuent mon île heureuse tels des talismans.

Cette cartographie révèle ma géographie sentimentale incarnée, ma douce fiction, mon espace intermédiaire :

L’atoll du silence, la cascade de la vérité, la vallée des souvenirs, le fleuve des regrets, les falaises de la violence, le phare des sentiments, l’archipel des cicatrices, la passe de la résilience.

Et je retourne dans ce lieu onirique : habiter mes archives, mes habitudes, mes rituels.

Alors que je crois regarder le monde sereinement, mes cils battent 11 500 fois par jour et avec la lumière je photographie les reliques du temps aux charmes discrets d’une vie antérieure.

Cette photographie crépusculaire porte par avance une mélancolie.

C’est mon repère, mon refuge, mon île. »

Cléo-Nikita Thomasson

Née en 1994, Cléo-Nikita Thomasson est une photographe de longue date, vivant et travaillant à Lyon. A l’image de sa série « The Lobster Complex » débutée en 2015 et continuée aujourd’hui, où elle restitue l’atmosphère et l’intimité du quotidien des adolescents tout au long de leur développement individuel, elle en revendique la lenteur et la durée.

Elle porte l’habit de l’observateur, celui qu’on appelle communément la photographie documentaire, et qui sous son œil, confine aux marges de l’intimité et de la vie ordinaire. Son regard est indissociable d’une pratique d’écriture développée dans des cahiers ou sur l’œuvre elle-même, où photos-textes, commentaires et témoignages donnent à l’image une autre psychologie.

Co-fondatrice du collectif Horizon, Cleo-Nikita Thomasson a été exposée au Larvoratoire Photographique de Douarnenez, à la Chapelle Saint Antoine de Naxos et, entre autres, à la Biennale de l’Image Possible de Liège.

L’artiste comme L’oeil de la photographie remercie chaleureusement la plateforme de revente de matériel photographique MPB pour son soutien et le prêt du Fuji GFX 100. La rubrique « Carte Blanche » ne pourrait se faire sans leur aide.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Jürgen Klauke / Gyula Szabó – .
NEXT à l’Alexandra Palace, la peintre Soraya Touat dévoile sa « réalité sublimée »